PHILIPPE MERCURE, LA PRESSE (Publié le 3 juillet 2020 à 5h00 Mis à jour à 8h55)
Selon un rapport, le Canada est le pays où la proportion des décès liés à la COVID-19 survenus dans des établissements de soins de longue durée est la plus élevée au monde.
Augmenter la proportion d’infirmières et de spécialistes au sein des CHSLD. Accorder des emplois permanents aux préposés aux bénéficiaires, uniformiser leur formation et leur fournir du soutien psychologique. Voilà quelques-unes des recommandations ((tirées d’un rapport qui passe au peigne fin l’échec des établissements de soins de longue durée canadiens face à la COVID-19.
C’est en effet un véritable constat d’échec que dresse ce document commandé par la Société royale du Canada, société savante qui vise à jeter un éclairage scientifique sur des enjeux de société. Les chercheurs montrent que le Canada est le pays où la proportion des décès liés à la COVID-19 survenus dans des établissements de soins de longue durée est la plus élevée au monde.
“On a fait piètre figure au Canada, et particulièrement au Québec. Ce qui s’est passé est épouvantable et on ne peut laisser ça comme ça”, dit à La Presse Francine Ducharme, doyenne de la faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal et coauteure du rapport.
Dans des mots parfois durs, les auteurs décrivent la COVID-19 comme une « [onde] de choc qui a fait craquer toutes les fractures préexistantes de nos établissements de soins ».
“Nous avons échoué envers eux, écrivent-ils en parlant des aînés. Nous avons brisé notre engagement. Nous avons la tâche, la responsabilité et la capacité de réparer cela – pas seulement la crise actuelle causée par la maladie infectieuse, mais tout le secteur qui a contribué à ce désastre tragique et évitable.”
Le groupe déplore tant la vétusté de certaines infrastructures que le manque de données qui permettraient de bien guider les actions (les auteurs comparent la planification des soins sans données probantes au fait de “gérer avec une planche de Ouija”). Mais il estime que c’est vraiment du côté de la gestion du personnel qu’il faut effectuer les réformes les plus urgentes.
“La main-d’œuvre, c’est vraiment ce qu’on veut mettre de l’avant. Il faut s’attaquer à la crise de la main-d’œuvre et changer la composition des effectifs”, dit Francine Ducharme. Elle précise que l’objectif est évidemment de se préparer pour une éventuelle vague de COVID-19, mais surtout de régler des problèmes qui minent le réseau depuis longtemps.
Les chercheurs sont bien conscients de ne pas être les premiers à tirer la sonnette d’alarme sur le manque de personnel dans les CHSLD. Mais ils espèrent que la COVID-19 fera finalement bouger les décideurs.
“C’est vrai qu’il y a eu des tonnes de rapports sur ce qui se passe dans les soins de longue durée. Ça fait 20 ans qu’on dit qu’il n’y a pas suffisamment de personnel, que c’est disqualifié, que ce n’est pas gratifiant. Mais peut-être que la pandémie va être le déclencheur qui va permettre de changer des choses. En tout cas, moi, j’ai espoir”, dit Mme Ducharme.
Plus de professionnels en CHSLD
Le rapport précise que 90 % des employés qui donnent des soins directs aux résidants dans les établissements de soins de longue durée sont des préposés aux bénéficiaires qui n’appartiennent à aucun ordre professionnel. Loin de leur jeter la pierre, les auteurs écrivent que ces employés « sans voix » sont en nombre insuffisant, mal payés et mal épaulés.
“Les travailleurs dans les établissements de soins de longue durée doivent avoir des emplois à temps plein avec un salaire équitable et des avantages sociaux, incluant un support psychologique pour le syndrome de stress post-traumatique que plusieurs vivent à cause de la COVID-19”, peut-on lire.
Les auteurs estiment toutefois que la proportion d’employés qui appartiennent à des ordres professionnels (infirmières, inhalothérapeutes, psychologues, physiothérapeutes, travailleurs sociaux) doit impérativement être augmentée.
“La composition des effectifs a beaucoup changé avec le temps et devrait revenir à un ratio plus raisonnable, dit la professeure. Les préposés sont extrêmement importants et font un travail extraordinaire, mais il faut aussi des connaissances scientifiques pour donner des soins.”
La spécialiste estime qu’il faut cesser de faire appel aux agences de placement pour gérer le personnel, éviter les mouvements d’employés entre les établissements ainsi qu’entre les zones infectées et non infectées d’un même établissement.
“Il y a des pratiques qui n’ont vraiment aucun bon sens qui ont eu lieu pendant la première vague. J’ai été vraiment déprimée de voir ça”, lance-t-elle.
Un investissement du fédéral
Le rapport plaide pour qu’on établisse des « standards nationaux » à travers tout le pays pour les établissements de soins de longue durée, et que des inspections soient faites pour s’assurer qu’ils sont respectés. Il interpelle aussi directement le gouvernement fédéral pour du financement.
“La réalité canadienne est que sans support fédéral, il est peu probable que les gouvernements des provinces et des territoires aient les ressources pour financer les hauts standards que méritent nos aînés fragiles”, écrivent les auteurs.
“On sait que la santé, c’est provincial, dit Francine Ducharme. Mais on pense que si on avait des balises générales au Canada, et qu’ensuite les provinces allaient dans le fin détail, ça aiderait. Le message n’est pas tant politique que scientifique.”